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La traduction littéraire est un important vecteur d'ouverture et de dialogue entre les cultures. Toutefois, ce dialogue peut se révéler biaisé lorsque l'activité des traducteurs se déploie dans un cadre politiquement contraint et orienté par des desseins idéologiques. Quel « Autre » importe-t-on, dans ces conditions, vers la langue-cible ? Comment, pour quel public et avec quel objectif ?

La période de l'Occupation allemande en France (et aussi en Belgique), cristallise de manière exemplaire ces interrogations. Les quatre années durant lesquelles la France a été soumise à la loi de l'Occupant a eu, outre d'évidentes répercussions politiques et économiques, un impact important dans la vie culturelle du pays : il s'agissait en effet pour l'Allemagne fasciste de mettre au pas la France vaincue après l'armistice de 1940 et de lui imposer un ordre nouveau fondé sur les valeurs nationales-socialistes, avec, au premier plan, et au moyen de la traduction en français, l'introduction massive d'auteurs allemands sur le marché éditorial « officiel » (lui-même contrôlé pour tout ou partie par des capitaux allemands).
 
De fait, les années d'Occupation ont vu éclore un très vif intérêt pour la pratique de la traduction littéraire. On en veut pour preuve ici d'une part l'impulsion donnée par la liste dite « Matthias » : ce répertoire de quelque 500 ouvrages allemands à traduire en français, constituée sous les auspices de l'Institut Allemand de Paris et de son Directeur Karl Epting, ami de Céline, contribua à réorienter de manière significative l'offre littéraire vers les auteurs allemands (de l'histoire à la philosophie, en passant par l'art, le droit ou la littérature). A cette fin, dès décembre 1940, une commission franco-allemande de traduction en lien avec l'Institut Allemand fut mise sur pied afin de sélectionner les titres à traduire prioritairement. Si aucune maison d'édition française n'était, en théorie, obligée de participer à ce programme de traductions, tout éditeur choisissant un ou plusieurs titres de la liste Matthias se voyait néanmoins assuré de pouvoir disposer du papier nécessaire à l'impression - soigneusement contingenté à cette période - et de recevoir l'imprimatur de la censure.

D'autre part, et compte tenu de ce programme officiel visant à promouvoir la littérature allemande (au sens large), l'intense couverture médiatique dans la presse d'Occupation des ouvrages ainsi traduits (vus alors comme les symboles d'une Collaboration intellectuelle réussie) révèle que la traduction était également perçue comme un enjeu de taille pour imposer en France la ligne idéologique de l'Occupant. Des journaux parisiens tels que Panorama - hebdomadaire européen (paru en 1943-44) ou Comoedia - Hebdomadaire des spectacles, des lettres et des arts, affichent notamment, pour la période de référence, un intérêt soutenu pour la traduction. En témoignent les très nombreux comptes rendus de traductions parues en librairie, les articles de fond sur des auteurs allemands (notamment les poètes : la poésie est alors explicitement considérée par l'Occupant comme le meilleur moyen pour connaître l'esprit d'un peuple - comprendre : le peuple allemand - et se voit donc très favorisée à ce titre), la parution dans leurs colonnes de larges extraits de textes traduits, voire des polémiques sur la manière de traduire de tel ou tel... On assiste même ponctuellement à des débats sur le statut du traducteur littéraire et la qualité des textes traduits (notamment leur conformité à la « ligne » idéologique en vigueur).

Outre la presse, les revues culturelles et littéraires ne sont pas en reste, qu'il s'agisse de publications officielles, soutenues par les pouvoirs publics (voire publiées directement par l'Occupant, comme les Cahiers de l'Institut allemand, ou bien Deutschland-Frankreich qui paraît en version bilingue sous les auspices de l'Institut Allemand de Paris), ou encore de feuilles sorties dans la clandestinité, en zone libre ou occupée, jusqu'en Afrique du Nord (Fontaine, publiée à Alger, ou Aguedal, paraissant à Rabat). Pour ne s'en tenir qu'à un exemple, un titre comme Pyrénées - Cahiers de la pensée française, paru à Toulouse entre l'été 1941 et le printemps 1944, offre un intéressant panorama de textes en traduction, qui témoigne d'une ligne éditoriale partagée entre adhésion à la Révolution Nationale prônée par Vichy et un désir de faire connaître des écrivains absents sur la liste Matthias.

Identifier les œuvres traduites en français durant toute cette période, dépouiller de manière extensive les publications de diverses obédiences qui s'en sont fait l'écho en France (à Paris, mais aussi en province et outre-mer) et en Belgique occupées, retracer la trajectoire des médiateurs (éditeurs, traducteurs, enseignants, poètes, etc.), et analyser les discours tenus sur la traduction durant les années 1940-44 apportera, à n'en pas douter, des éléments de grand intérêt (et la plupart encore inexploités à ce jour) pour une compréhension plus fine des échanges littéraires en France et dans l'espace francophone à un moment particulièrement délicat de l'Histoire.
Mis à jour le 12 septembre 2017.